Une loi qui protège de la haine?

Par Anna Harbauer

Afin de se prémunir contre la haine, de plus en plus de politiques font le choix de se retirer des réseaux sociaux. Photo: Priscilla Du Preez

Insulté-e-s, injurié-e-s, menacé-e-s et parfois même attaqué-e-s : depuis quelques années, les femmes et hommes politiques municipaux-ales en Allemagne sont confronté-e-s à des vagues de haine de plus en plus puissantes. Dans la république fédérale, la loi dite « contre le crime motivé par la haine et l’extrémisme de droite » est censée les protéger contre la haine et les campagnes de dénigrement.

Il y a plus de deux ans maintenant, le 2 juin 2019, Walter Lübcke, un politicien conservateur de la CDU, est assassiné par un extrémiste de droite sur la terrasse de sa maison. Le membre de la CDU s’était opposé à des interjections racistes lors d’une assemblée citoyenne en 2015. Depuis lors, il était la cible d’un acharnement de l’extrême-droite et recevait régulièrement des menaces, notamment sur Internet. Quelques mois après sa mort, le 9 octobre 2020, un extrémiste de droite tente de s’infiltrer avec violence dans une synagogue à Halle. Il est lourdement armé et tue deux personnes devant la synagogue.

Face à cette augmentation des attentats terroristes de droite, le gouvernement allemand de l’époque décide de réviser la législation en vigueur. Jusqu’à cette date, la loi sur l’application des réseaux (Netzwerkdurchsetzungsgesetz), entrée en vigueur en 2017, régulait la manière de traiter les discours de haine en ligne. Finalement, le Bundestag adopte la “loi contre la criminalité haineuse et l’extrémisme de droite” en février dernier.

Obligation de déclaration et durcissement des poursuites judiciaires

Avec cette nouvelle loi, les choses changent. Jusqu’alors, les plateformes comme Facebook, Instagram devaient seulement supprimer les commentaires à caractère haineux. Maintenant, chacun de ces commentaires haineux doit être transmis à la police fédérale, afin de garantir des poursuites judiciaires. Aussi, le gouvernement alourdi les peines : les auteur-ice-s de menaces de mort ou de viol en ligne risquent désormais jusqu’à trois ans de prison.

Mais ce n’est pas tout. L’article 188 du code pénal prévoit notamment de poursuivre plus sévèrement les attaques et menaces envers les politicien-ne-s municipaux-ales. Selon Christine Lambrecht, ancienne ministre social-démocrate fédérale de la justice chargée du projet, cette nouvelle loi a pour but de protéger ceux et celles qui s’engagent pour une « Allemagne plus humaine » et qui doivent endurer les menaces tous les jours. Une loi qui ne vient pas sans critiques : des militant-e-s pour la protection des données jugent la sauvegarde des données personnelles des utilisateur-rice-s de Facebook, Twitter et Co. et leur transmission à la police fédérale disproportionnée, tandis que Frank Walter Steinmeier (CDU), le président fédéral allemand, émettait des doutes quant à l’application au droit constitutionnel. Ce n’est qu’après que les député-e-s ont retravaillé la loi qu’il a donné son assentiment.

Plus de haine envers les élu-e-s

Nombreux sont les statistiques qui démontrent une croissance des vagues de haine venant de l’extrême droite. Dans toute l’Allemagne, les élu-e-s sont les premier-ère-s concerné-e-s. Selon l’association des villes et municipalités allemandes, plus de deux mille élu-e-s au niveau fédéral, au niveau des Länder aussi bien qu’au niveau communal ont été victimes d’attaques d’extrême droite – et cela seulement pour l’année 2020. Leur nombre a doublé en trois ans. Pour Markus Köber du Forum Allemand pour la Prévention de la Criminalité, cela ne serait pas forcément une augmentation des cas, mais plutôt une augmentation de leur signalement. Ces cas sortiraient enfin de l’ombre selon Köber, qui observe depuis 2019 les attaques envers les élu-e-s. Pour lui, la notification des commentaires en ligne est une bonne chose, bien meilleure que leur suppression. Pour le chercheur, tous-tes les citoyen-ne-s devraient prendre conscience du problème. Sans cela, il ne voit aucune possibilité de lutter contre la haine au niveau communal.

« Jamais internet ne doit être un espace de non-droit »

2019. La conseillère municipale Maria Del Mar Mena Aragon, membre du Parti Urbain (JUPI) de Fribourg-en-Brisgau, est en pleine campagne électorale pour le nouveau conseil municipal de Fribourg. Elle reçoit une lettre de menaces anonyme, qu’elle décrira plus tard comme « dégoûtante, sexiste et raciste ». Même si c’est la première lettre qu’elle reçoit, elle s’arrête net de publier son point de vue politique sur les réseaux sociaux. Contrairement à d’autres femmes politiques immigrées ou non-blanches, elle ne supporte pas d’être une cible si facile. Convaincue que le changement législatif soit une bonne chose, elle se prononce avant tout pour une définition de la haine et des campagnes de dénigrement.

Josef Frey, lui, continue de s’exprimer sur les réseaux sociaux, malgré les menaces qu’il reçoit tous les jours. Il est délégué du parti des Verts du Landtag au Bade-Wurtemberg. « Jamais internet ne doit être un espace de non-droit », dit-il en soulignant l’importance de la nouvelle loi. La loi tiendra-t-elle ses promesses ? Reste à voir. Selon Josef Frey, il faut d’avantage viser la prévention des crimes de haine. Une idée vient notamment du gouvernement au Bade-Wurtemberg : il souhaite introduire le projet #RespectBW comme programme obligatoire dans tous les écoles au Bade-Wurtemberg. Pour Josef Frey, il est indispensable de commencer chez les plus jeunes pour faire bouger les choses.

« Ce qu’il nous faut, c’est une correction au niveau du droit pénale »

Inutile de dire que ce ne sont pas seulement les élu-e-s locaux qui sont concernés par les discours de haine, mais également les politicien-ne-s au niveau fédéral. Depuis les élections fédérales en septembre dernier, Tessa Ganserer des Verts est la première femme trans à prendre place dans le Parlement allemand. Et depuis son coming-out, les menaces fusent, dans la vie réelle comme virtuelle. « À chaque fois que je vois qu’on parle de moi dans les JT, les railleries et la haine ne se font pas attendre», dit-elle dans une interview avec ce blog.

Comme l’élue communale fribourgeoise Aragon, elle n’utilise que rarement les réseaux sociaux. Les efforts faits jusqu’à présent seraient insuffisants pour Ganserer – surtout en ce qui concerne la poursuite pénale des cas visant les personnes trans. Selon elle, « ce qu’il nous faut, c’est une correction au niveau du droit pénale ». Pour elle, il est indispensable d’ajouter la transphobie et l’homophobie au catalogue des motivations de haine.

Le changement législatif – ça suffit ?

À partir de février 2022, les réseaux sociaux devront transmettre tous les contenus haineux, toutes les informations sur leurs auteur-ice-s à la police fédérale allemande. Les personnes concernées s’attendent à une amélioration de leur situation et à une baisse de la haine en ligne. Si tel va être le cas, il est encore difficile de le dire. Il est même douteux qu’une loi soit la meilleure façon de protéger les personnes contre les propos antisémites, d’extrême droite et, de plus en plus, sexistes. Pour Tessa Ganserer, il faut également mettre en place des mesures préventives et un travail d’acceptation afin d’assurer une cohabitation sociale sans haine.

Les organisations non-gouvernemental telles que HateAid, hassmelden ou stark-im-amt ont déjà imaginé un scénario. Elles proposent un soutien individuel aux personnes concernées par les discours de haine en ligne et mettent à disposition des informations. Et l’engagement ne s’arrête pas là. Il y a de plus en plus d’initiatives qui se créent, comme par exemple l’initiative Marie Munk. Celle-ci, créée par la Société pour les droits de la liberté (“Gesellschaft für Freiheitsrechte”), a pour objectif de faciliter le blocage des comptes non-vérifiés diffusant les contenus violents. Tout cela donne l’espoir. Mais on voit bien : il faut beaucoup plus qu’un changement législatif. Ce qu’il nous faut, c’est un changement de mentalité dans nos relations sociales.

À propos de l’autrice
Anna Harbauer
Anna Harbauer

… a vingt ans. Après son baccalauréat, elle a fait un service volontaire en Bretagne. Actuellement elle étudie l’allemand et le français à Fribourg. Elle aime faire du sport, lire, voyager et apprendre de nouvelles langues.

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