Commentaire Katharina I.

Très souvent, le populisme de droite et celui de gauche sont mentionnés ensemble, sans nuance particulière. Cependant, il existe une différence fondamentale entre eux : les valeurs démocratiques. L’assimilation de ces deux types de populisme pose deux problèmes : en les confondant, on néglige le danger que représente le premier et passe à côté du potentiel démocratique qu’incarne le second. Un commentaire de Katharina Irmer.
Un journaliste du quotidien allemand « Der Tagesspiegel » déplore la couverture médiatique de « l’affaire d’Ibiza », un scandale politique en Autriche. Dans une vidéo tournée en caméra cachée et diffusée par des médias allemands, le vice-chancelier et leader d’extrême droite Heinz-Christian Strache se montre prêt à se compromettre avec un intermédiaire russe, en échange de financements. Le journaliste du « Tagesspiegel » ne comprend pas pourquoi les médias ont alerté le public face au danger du populisme de droite, et non face à celui que représente le populisme de gauche. Il cite ensuite les stratégies profondément antidémocratiques des politiciens qu’il associe au populisme de gauche. Le/La lecteur-rice attentif-ve se demande d’abord en quoi l’affaire de Strache est reliée à une couverture plus dense du populisme de gauche, vu qu’il n’en est pas question dans cette affaire. Iel remarque également que dans ce contexte-là, il n’y a aucune différenciation faite entre le niveau de danger du populisme de gauche et de droite. Sans parler du fait que le populisme de gauche n’est pas assez analysé.
Confondre ces deux types de populisme et demander à prendre plus au sérieux le populisme de gauche sont des stratégies assez répandues, que l’on regroupe sous le terme de whataboutisme, procédé rhétorique qu’affectionne particulièrement le camp politique de droite. Mais les confondre, c’est aussi adopter une position qui manque de nuance, en ce qu’elle ne prend pas en compte le fait que le plus grand danger pour la démocratie est bel et bien le populisme de droite. Et surtout parce qu’elle ne reconnait pas le potentiel émancipateur que le populisme de gauche pourrait apporter à la démocratie.
L’Agence fédérale allemande l’éducation politique (Bundeszentrale für politische Bildung, BPB) définit le populisme comme une logique politique selon laquelle le pouvoir appartient au peuple. Si l’on suit cette définition, la politique devrait exprimer la volonté du peuple. Le populisme possède deux versants majeurs : d’une part une idéalisation du peuple, et d’autre part une hostilité profonde envers les élites, corrompues. Pour l’agence fédérale allemande pour l’éducation politique (BPB), le populisme est donc un symptôme : si la démocratie et la confiance des citoyen-ne-s dans les institutions politiques s’affaiblissent, alors les courants populistes voient leur nombre de sympathisant.e.s augmenter. Le populisme n’est donc en soi pas une mauvaise chose. Il faut d’abord être au courant des objectifs de ce dernier avant de le juger.
Que faire du terme « démocratie » ?
Les objectifs du populisme de droite et de gauche sont très différents. Les critiques émanant de celui d’extrême droite vise l’ordre politique et s’en prenne à la démocratie même, tandis que le populisme de gauche donne un nouveau souffle à la démocratie. Prenons l’exemple de l’Alternative für Deutschland (AfD). Pour ce parti allemand d’extrême droite, la réponse à la question de la gestion de la migration va de soi. Il faut fermer les frontières – une solution simple pour un problème complexe. Les ennemi.e.s du parti sont, parmi d’autres, les migrant.e.s. En les instrumentalisant, le parti attise la peur. La peur, par exemple, que « les migrant-e-s nous volent nos femmes et nos emplois ». Et cela pour gagner en pouvoir dans la balance politique. Pour l’AfD, les êtres humains ne sont pas tous égaux, n’ont pas tous les mêmes droits. Le parti ignore un principe fondamental de la démocratie, celui qui veut que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits. », et se montre ainsi antidémocratique. Par-là, le populisme de droite n’est pas seulement antidémocratique : il ne reconnaît pas non plus les droits humains. À l’inverse, le populisme de gauche se fonde sur des valeurs démocratiques et peut les amener dans le débat politique. L’appel à une plus grande participation à la vie politique, à la mobilisation, la reconnaissance de la souveraineté du peuple et la réclamation d’une plus grande transparence en politique sont autant d’illustrations d’une vision bel et bien démocratique du pouvoir politique.
Selon l’Agence fédérale allemande pour l’éducation politique (BPB), les courants du populisme de gauche sont dits populistes parce qu’ils répondent aux craintes des citoyen-ne-s. Crainte de la pauvreté, du chômage, peur de la perte de la sécurité sociale. De même, la redistribution sociale de haut en bas serait populiste. Et pourtant, il ne faut pas oublier que ces réclamations-là se fondent sur l’idée d’une égalité démocratique. Les courants du populisme de gauche s’attaquent au problème capitaliste de l’inégale redistribution des richesses et cherchent à surmonter le dogme néolibéral du « si tu veux, tu peux, peu importe ton origine ». La réclamation d’égalité est donc moins une astuce populiste qu’une une tentative de réponse réaliste au problème de l’inégalité sociale, qui gagne de plus en plus d’importance.
Car les groupes associés au populisme de gauche s’engagent en faveur de l’égalité et de la démocratie, ce qui se remarque dans leur culture protestataire et leur revendication d’une participation politique de tous.te.s les citoyen.ne.s partageant des valeurs démocratiques. Si le projet d’une redistribution des richesses au moyen de l’impôt sur la fortune effectivement mis en place, alors l’image de l’ennemi élitaire et corrompu, telle qu’elle est véhiculée par les populistes de droite, n’a plus lieu d’être. Cette revendication a pour but la création de l’égalité dans un système en soi inégalitaire.
Sahra Wagenknecht n’est pas une populiste de gauche
La gauche et la droite se distinguent fondamentalement par des différences idéologiques, qui valent également dans la distinction entre le populisme de gauche et le populisme de droite. Lorsque Sahra Wagenknecht, membre du parti de gauche allemand Die Linke, rend les migrant.e.s responsables de la baisse des salaires dans son livre « Die Selbstgerechten », elle ignore les structures capitalistes à l’oeuvre derrière ce phénomène. Son collègue Niema Movassat, du même parti, n’hésite d’ailleurs pas à lui reprocher l’usage d’un discours profondément ancré à droite. Sahra Wagenknecht ne s’appuie donc plus sur une conception démocratique de l’égalité entre tous les êtres humains. Et ce qu’elle dit est sans aucun doute populiste. Mais il ne s’agit pas pour autant de populisme de gauche, puisque justement elle se détourne des valeurs de gauche, qui elles sont démocratiques. En un mot elle ne défend plus la démocratie. Ce n’est donc pas parce que des hommes et des femmes politiques apparemment de gauche tiennent des propos populistes qu’ils représentent forcément un populisme de gauche. Il en va de même pour les exemples cités dans l’article du Tagesspiegel : il est tout à fait possible que le politicien roumain Liviu Dragnea, désigné comme populiste de gauche par certains journalistes, est corrompu. Et sans doute le public doit être mis en garde contre ses aspirations antidémocratiques. Seule condition : le faire de manière nuancée, car Liviu Dragnea n’est pas du tout un populiste de gauche.
Il y a donc deux choses à retenir. D’abord, que suffisamment de jeu soit accordé aux différences entre le populisme de gauche et celui de droite, et souligner ces différences dans les débats politiques. Ensuite, qu’il faut s’opposer avec la plus grande détermination aux paroles du populisme de droite, peu importe leur origine.
Lorsque l’on s’intéresse au populisme de gauche, qui s’engage pour un plus grand respect des valeurs démocratiques, il faut bien en saisir les objectifs et ne pas l’ignorer ou le diffamer dès le début. Il faut l’examiner, justement, sous l’aspect des valeurs démocratiques. Trop souvent, l’étiquette « populiste de gauche » est utilisée sans faire mention des nuances qui la distinguent de celle de « populiste d’extrême droite », ce qui conduit à les confondre l’un avec de l’autre. Ce qui n’a pas seulement des effets sur l’image qu’on a des populistes de gauche, mais mène aussi à une relativisation du danger que représente celui de droite. C’est là un grand danger pour notre démocratie.
Traduction Charlotte Müller
À propos de l’autrice
Au cours de sa longue vie d’étudiante, Katharina I. a étudié la sociologie, le latin et la littérature française – en Allemagne et en France. Elle vit pour une coexistence féministe, se passionne pour les questions d’égalité et s’engage dans la politique de l’enseignement supérieur.