Commentaire Magalie Jégou

Deuxième écrivain noir à gagner le Prix Goncourt, les médias n’hésitent pas à mentionner l’origine ou la nationalité de Mohamed Mbougar Sarr. Rien de surprenant puisqu’il s’agit d’un écrivain noir dans le décor blanc de ce prestigieux prix littéraire français. Mauvaise habitude journalistique ou geste militant ?
Depuis la création du prix Goncourt en 1892, Mohamed Mbougar Sarr est le premier auteur d’origine Afrique subsaharienne à recevoir le Prix Goncourt – exactement 100 ans après l’écrivain René Maran, originaire de Martinique, qui fut le premier écrivain noir à remporter le prestigieux prix. De nombreux médias français ont d’abord choisi de mentionner que Mohamed Mbougar Sarr est noir et/ou d’origine sénégalaise. Pour ensuite mettre son livre et son jeune âge en avant dans des articles plus récents. En effet, du haut de ses 31 ans, l’auteur du roman La plus secrète mémoire des hommes est l’un des plus jeune récompensé du concours.
La reconnaissance croissante d’intellectuel-le-s noir-e-s, et plus largement étrangers, pose alors la question de savoir s’il est encore nécessaire que les médias appuient l’origine des personnes concernées lorsqu’elles sont sous-représentées dans les médias. Nommer leur nationalité ou leur origine pourrait contribuer à la valorisation d’un groupe sous représenté dans le milieu notamment de la littérature. Mais cela n’est pour autant pas forcément souhaité par les personnalités noires concernées qui conservent une méfiance quant à la fixette sur l’un de leur pays d’origine ou leur couleur de peau. Ce qu’elles revendiquent en revanche : mettre en lumière le fruit de leur travail.
Mohamed Mbougar Sarr grandi à Dakar au Sénégal puis en France, où il poursuivi ses études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il se concentre sur les grandes figures de la littérature africaine, notamment en consacrant sa thèse à Léopold Sédar Senghor et le concept de la négritude. L’envie d’écrire de la fiction prit le dessus ; son premier roman Terre ceinte (Présence africaine) fut primé en 2015 par le Prix Amadou Kourouma et le Grand prix du roman métis. Suivirent d’autres romans plébiscités par la critique dont les thématiques vont de l’homosexualité dans la société sénégalaise, au colonialisme, à la quête d’identité et la légitimité de se revendiquer écrivain-e.
L’année 2021 a été particulièrement charnière en ce qui concerne l’attribution de prestigieux prix littéraires occidentaux à des écrivain-e-s venant de part et d’autre du globe. Et particulièrement à celles et ceux issus du continent africain. On compte à ce titre la récompense du prix Nobel de littérature au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, devenant le deuxième auteur noir africain recevant le prix Nobel de littérature après le nigérian Wole Soyinka en 1986, soit en l’espace de 35 ans. En Allemagne, l’écrivaine et cinéaste zimbabwéenne Tsitsi Dagarembga a remporté le Prix du Salon de la Littérature de Francfort en octobre dernier.
La méfiance de l’écrivain
A l’époque de René Maran, en 1921, de nombreuses contestations ont retentis. Le Petit Parisien, journal conservateur d’après-guerre, justifie sa victoire en commentant que « sa qualité de nègre (…) a séduit les Dix de l’Académie Goncourt épris de couleur et d’étrangeté » . Aujourd’hui, il serait rare de trouver un tel commentaire contenant le n-word et véhiculant un discours raciste publié dans un quotidien français. Cela témoigne des luttes pour l’égalité et la reconnaissance de la communauté noire en proie au racisme institutionnel et systémique.
Mais derrière la réjouissance se cache toujours la méfiance, selon Mohamed Mbougar Sarr. Le jeune lauréat a eu l’occasion de se prononcer dans une interview attribuée au média Brut sur la méfiance dont il fait part : selon Sarr, il faut se réjouir qu’un écrivain africain reçoive un prix occidental mais également s’en méfier. Dans son roman La plus secrète mémoire des hommes, il écrit : “Méfiez-vous, écrivains et intellectuels africains de certaines reconnaissances. Au fond vous resterez des étrangers quelle que soit la valeur de vos œuvres”.
Paradoxalement, l’auteur dédie son roman à l’écrivain Yambo Ouologuem, premier romancier africain à recevoir le prix Renaudot en 1968. La réception de son prix a été particulièrement controversée. Il a été accusé d’avoir plagié de nombreux écrivains occidentaux. À la suite de ces lourdes accusations, son prix lui est retiré. Si bien d’autres thématiques sont abordées dans le roman de Sarr, notamment l’homosexualité au Sénégal, la remise en question de l’attribution d’un prix à un écrivain noir, issu d’un pays colonisé, y est centrale.
Une revendication au potentiel d’empowerment
D’un autre côté, un média qui met particulièrement en avant l’origine de la personne permet une revendication identitaire, une forme empowerment de la communauté noire. L’un des premiers mouvements à employer ce terme est celui des femmes battues aux Etats Unies dans les années 70. Transposé au cas présent, cela décrit le processus d’acquisition d’une conscience sociale ou d’une conscience critique permettant aux membres de la communauté noire de développer un « pouvoir intérieur », d’acquérir des capacités d’action à la fois personnelles et collectives, et de s’inscrire dans une perspective de changement social. Car certes, la société a évolué depuis les processus de décolonisation, pourtant il n’est pas évident pour un individu de citer aujourd’hui un écrivain contemporain francophone issu des pays décolonisés.
C’est flagrant de constater cela alors que la France a laissé une empreinte et une langue de part et d’autre du globe. L’Afrique est le continent le plus francophone. Le Congo, l’Algérie et le Maroc sont les trois pays après la France où le français est le plus parlé. Car si la colonisation est un sujet sensible, comme le témoigne la difficile remise en question du gouvernement sur les expositions d’œuvres d’arts volées pendant cette période, il est d’autant plus problématique de ne pas mettre en avant la pluralité culturelle instaurée par la francophonie. Par ce biais, le sujet de la colonisation est aussi régulièrement amené au débat. La société a assisté à l’affirmation du mouvement Black Lives Matters qui contestait la persécution policière de la communauté afro-américaine suite au meurtre de George Floyd par des policiers blancs. Ce mouvement consacre le combat d’une minorité persécutée. Dans le cas où une minorité est récompensée, comme c’est le cas ici dans le monde littéraire francophone, il est nécessaire de la médiatiser, et ainsi de mettre l’accent sur la diversité culturelle dans la francophonie.
Bye-bye au franco-français
Mettre l’accent sur les origines sénégalaises est sans aucun doute nécessaire afin d’affirmer l’ouverture du monde littéraire francophone. Il n’est pas question de considérer ab initio que le jury du prix Goncourt a toujours attribué des prix en discriminant les personnes issues des pays de la colonisation. Néanmoins, il s’agit davantage de réaffirmer à travers cette récompense le but même de ce lauréat : récompenser les auteurs maniant la langue française et non pas les auteurs occidentaux stricto sensu. C’est là un signal puissant à l’espace francophone : le prix Goncourt fait concourir les personnes parlant et écrivant le français, sans qu’ils aient forcément grandis dans les pays occidentaux. Cette affirmation peut également déranger, et surtout le principal concerné. En effet le lauréat du prix Goncourt ne revendique pas son appartenance au Sénégal ou encore à la France, là où l’Association des écrivains du Sénégal affirme que cette récompense est « une fierté pour notre pays et le continent tout entier » . La réaction du jeune écrivain face à l’engouement est plutôt la réaffirmation de la célèbre citation d’Albert Camus « Ma patrie, c’est la langue française » et de l’illustre pouvoir transfrontalier de la littérature. Ainsi, Mohamed Mbougar Sarr constitue une figure de la communauté noire malgré lui. Écarter le rattachement à une origine et l’histoire de la colonisation contribue à écarter du débat médiatique cette thématique.
À propos de l’autrice

… a 22 ans et finit actuellement un Master en droit public franco-allemand à Fribourg. Elle aime aborder les questions de société et s’intéresse actuellement à la liberté d’expression et le droit d’asile. Dans son temps libre elle aime passer du temps avec ses ami-e-s, écouter de la musique en tout genre et mange en même temps un peu (beaucoup) de chocolat.