Podcast et texte de Franzi Jutz et Vincent Rombach
Que ce soit parmi les joueurs ou les supporteurs, sur le terrain ou chez la direction, le racisme a une longue tradition dans le foot professionnel. Deux footballeurs amateurs racontent comment ils vivent le racisme, et nous permettent de jeter un nouveau regard sur un sport qui n’est pas toujours aussi juste qu’on ne le croit.
L’image est paradoxale : d’un côté, des joueurs de football à genoux contre le racisme et les brassards de capitaine aux motifs de l’arc en ciel, de l’autre les bruits de singe et des paroles racistes. Le championnat européen l’été dernier a prouvé, une fois de plus, que dans le monde du foot, les insultes racistes sont une triste réalité.
Nombreux sont les exemples qui prouvent que le problème est bien répandu dans le foot professionnel masculin. Les frères Hamit et Halil Altintop, joueurs germano-turques, le déplorent déjà en 2006, plus tard ce sont les défenseurs central Jordan Torunarigha (Herta BSC) et Antonio Rüdiger (FC Chelsea) qui sont exposés au racisme de leurs adversaires. Dans une interview qu’Antonio Rüdiger donne au magazine allemand Spiegel en 2020, il considère comme complices tous ceux qui détournent le regard.

Les insultes racistes dans le foot commencent dès un très jeune âge. En septembre dernier, Sport Inside publie une recherche exclusive sur les clubs jeunes du FC Bayern de Munich et d’autres clubs professionnels. Les résultats des études sont choquants : pendant des années les jeunes joueurs sont victimes d’actes racistes, d’insultes, de violences de la part de leurs instructeurs. Les jeunes joueurs s’entrainent dans un climat de peur et vivent dans un vide juridique total. Les instructeurs qui critiquent ces comportements perdent leur emploi, sans préavis. Jusqu’à présent aucun centre d’accueil n’a été mis à disposition des victimes ou témoins de violences racistes par le FC Bayern.
Michael Kojo et Celestion Gombo, aussi appelé Celes, deux footballeurs amateurs de Fribourg et de Bittburg, parlent de leurs propres expériences. Ce qui dérange Michael, c’est surtout le fait que le racisme soit banalisé de manière générale. Les remarques et les comportements racistes ne sont pas systématiquement remis en question. Lorsqu’il en parle, on lui répondrait : « mais est-ce vraiment si grave ? » ou encore « impossible qu’on t’ait dit ça ». Ces questions l’accompagnent depuis le début de sa carrière. Sa réponse : Oui, c’est grave. Selon Michael, un match de foot serait un exutoire pour toute sortes d’émotions négatives. « Dans la vraie vie, ceux qui m’insultent déclarent de ne pas être racistes. Peut-être qu’ils ne le sont pas. Mais ce que je vois, c’est qu’au fond d’eux, le racisme est encore bien ancré. Et il les pousse à faire des déclarations à la limite de la légalité ».

Celestion Gombo, lui aussi, connaît le racisme sur le terrain. Il a treize ans lorsqu’il subit une insulte raciste pour la première fois. Aujourd’hui encore, il se fait insulter régulièrement, tous les trois matchs pour être exact. Son grand modèle, c’est Mario Balotelli. Lors d’un match international pour l’Italie, les supporteurs l’insultent avec les bruits de singe. « C’est un homme solide, il mesure un mètre quatre-vingt-dix et il est bien entraîné. Quand il se met à courir, t’as peur », admire Celestion. « Mais ensuite, il s’asseoit sur le banc et pleure parce que lui aussi il est brisé et qu’il ne voit pas de solution. Ça fait mal au cœur de voir ça quand on est noir ».
Dans le monde du foot, le racisme pose un grand problème. Alors que faire ? Dans la direction du foot allemand, le racisme est loin d’être pris au sérieux. Aucune mesure n’est prise. En août 2019, Clemens Tönnies, ancien président de Schalke 04, tient des propos racistes envers “les africain-e-s”. Conséquence pour l’ex-président ? Aucune. Plus récemment en 2020, Dietmar Hopp, mécène et grand investisseur du TSG Hoffenheim, s’adresse à la Fédération allemande du football. Il réclame que les insultes qu’on lui aurait adressées soient reconnues comme des propos discriminatoires. Selon lui, ils doivent être punis aussi strictement que le racisme. Pour Michael Kojo la solution du problème est évidente : « Ce qu’il nous faut, ce sont les personnes non-blanches ou étrangères dans la direction. Ceux qui ont vécu le racisme peuvent mieux lutter contre le racisme ». En ce qui concerne Dietmar Hopp, il a un avis très clair : « Aujourd’hui, ce qui importe, c’est qu’il a été insulté. Sauf que si ce n’est qu’un petit joueur qui dénonce le racisme, rien ne change. En revanche, s’il s’agit d’un investisseur, là tout change. Lui, il peut facilement mettre la pression. S’il se retire, les clubs de foot manquent d’argent. C’est aussi simple que ça. C’est triste qu’il faille avoir une position du pouvoir dans le foot afin d’être protégé ».

La Fédération allemande de football lance des campagnes contre le racisme pour adresser le sujet. Les footballeurs les plus célèbres disent « non » au racisme devant les caméras, les capitaines des équipes font entendre les messages anti-racistes avant leurs matchs. Selon Celes, ce n’est pas suffisant : « Ils nous mettent de la poudre aux yeux ».
Combien de temps faudra-t-il attendre avant que le racisme et son ampleur soient reconnu par le monde du foot ? Difficile à dire, mais il faut s’armer de patience. Entre temps, Michael Kojo appelle à s’ouvrir à d’autres cultures: « Si tout le monde avait un-e seul-e ami-e non-blanch-e ou étranger-ère, le monde serait déjà un peu meilleur ».
Traduction Charlotte Müller
À propos des auteur-rice-s

Je m’appelle Franzi, j’ai 19 ans, je viens de Bitburg, mais j’habite actuellement à Strasbourg où je fais mon volontariat franco-allemand. Pendant mon temps libre, j’aime cuisiner, lire ou regarder des séries. Ma passion, c’est les voyages.

Vincent étudie la philosophie et l’allemand à l’université de Fribourg. Dans son temps libre, il aime faire de la musique, s’essayer à toutes sortes de sports ou se poser dans un café et regarder les gens passer.