Par Katrin Wien

Les agences chargées de la surveillance des frontières européennes font débat dans les médias. En Pologne, en Grèce et dans les Balkans, elles empêchent des milliers de réfugié-e-s d’avancer sur le sol européen. Elles se servent de technologies avancées de contrôle et bloquent les distributions de vivres. L’Europe les observe. Est-ce une politique d’asile accomplie ?
État d’urgence à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. D’après le gouvernement polonais, 7.000 réfugié-e-s sont coincé-e-s du côté biélorusse. Selon Seebrücke, un groupe civil allemand d’aide aux migrant-e-s, au moins 17 personnes seraient déjà mortes de froid ou par manque de soins. Une estimation, car le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé. Mais impossible d’en avoir la certitude car : ni observateurs et observatrices, ni médecins ont accès à la zone frontalière, zone de non-droit.
Ce désastre humanitaire cache une lutte de pouvoir entre la Biélorussie et l’Union Européenne. De nombreux membres de l’UE et de gouvernements nationaux accusent Alexander Lukashenko, le dictateur biélorusse, d’instrumentaliser les réfugié-e-s pour mettre l’UE sous pression. Car depuis août 2020, l’UE accuse Lukashenko de fraude électorale et impose des sanctions au pays, auxquelles le dictateur tente de mettre fin par tous les moyens. Face à l’arrivée des migrant-e-s à la frontière polonaise, les réactions sont très différentes au sein de l’UE : alors que l’UE se retient et attend, la Pologne a décidé de construire un mur à la frontière biélorusse. Prix: 350 millions d’euros. Avec ses cinq mètres de haut, 200 kilomètres de long, des caméras infrarouges et des détecteurs de mouvement, il sera sans égal en Europe.
Pourtant, ces technologies ne sont pas nouvelles. Ces dix dernières années, l’UE a dépensé plus de 100 millions d’euros pour les technologies de surveillance et de contrôle des frontières. Drones, caméras spéciales, surveillance automatisée – la liste des investissements est longue. Tout est fait pour empêcher les réfugié-e-s d’entrer sur le territoire européen. Et la Commission Européenne ne s’arrête pas là. En septembre dernier, un nouveau camp de réfugié-e-s ouvre ses portes sur l’île grecque de Samos. Ses habitant-e-s l’ont nommé « le Guantanamo européen ». Deux autres camps sont à venir.
Pushbacks dans les Balkans
En octobre dernier, les images d’une chaîne d’information croate font l’actualité. Des hommes masqués repoussent violemment des demandeur-e-s d’asile du territoire croate sur le territoire bosnien. Impossible pour eux de déposer une demande d’asile. Mais qui sont ces hommes masqués ? Leurs matraques et leurs vestes permettent de présumer qu’il s’agit de la police anti-émeute croate. Quant aux images, elles ont été publiées par un collectif d’investigation européen, dont le quotidien Libération ou le magazine allemand Der Spiegel, Lighthouse Records et certains médias croates font également partie.
Selon l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, les expulsions collectives sont illégales. En outre, le droit européen prévoit que tout-e-s les demandeur-euse-s d’asile ont droit à un examen individuel de leur demande d’asile avant d’être légalement rejeté-e-s.
Même si les preuves sont évidentes – les images publiées en octobre ne sont pas les seules – la Croatie nie depuis longtemps les Pushbacks présumés. « La violence systématique provient des polices croates et hongroises. On peut facilement comparer leurs pratiques violentes », explique Chandra Esser de l’organisation non gouvernementale Border Violence Monitoring dans une interview. Depuis 2016 son organisation publie des rapports mensuels sur les Pushbacks illégaux en Pologne, en Grèce et dans les Balkans.
« Est-ce vraiment l’Europe ? »
La chercheuse britannique du département de sociologie et des relations internationales Karolina Augustova a mis en place une étude de terrain dans la zone frontalière en Bosnie-Herzégovine. Pendant huit mois, elle y a vécu avec les réfugié-e-s, tout en réalisant de nombreuses interviews : « Les forces de l’ordre postées aux frontières dérobent les migrant-e-s de tous leurs biens, leur argent et leurs vêtements. Et cela souvent en employant la violence, qu’elle soit psychologique ou sexuelle », raconte-t-elle lors du congrès annuel du Conseil de la migration en novembre dernier à Dresde.
Un incident l’aurait véritablement choqué : La police slovène est accusée d’avoir forcé une femme musulmane à enlever son hijab et à se mettre nue devant les policiers. « Les policiers l’ont insultée : ils lui ont dit qu’elle n’était plus en Afghanistan, mais en Europe et donc loin de l’Islam et ses coutumes ». En raison de leurs origines ethniques, les femmes subissent très souvent des actes de violence sexiste et sexuelle ; quant aux hommes, ils sont brutalement tabassés par les policiers. Les réfugié-e-s qui ont accordé des interviews à la chercheuse Karolina Augustova étaient surtout surpris par les interventions brutales des policiers européens. Ils lui auraient demandé: « Est-ce vraiment cela, l’Europe? »
Pour éviter toute sorte de violence et afin de traverser la frontière sans se faire remarquer, les réfugié-e-s ont développé des stratégies différentes. Les hommes se rasent la barbe pour faire plus « européen », ou portent des symboles chrétiens. « Deux amis se sont séparés, l’un était blanc, l’autre était noir. Pourquoi ? Parce que l’homme blanc avait peur de se faire remarqué par les contrôles frontaliers s’ils y allaient ensemble avec son ami. Il a préferé rejoindre un inconnu », explique Augustova.
Frontex – acteur central dans la sécurité des frontières européennes
En dehors des services frontaliers nationaux, c’est surtout Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, qui joue un rôle central dans la protection des frontières extérieures de l’Europe. Censée protéger les états-membres de l’UE et les états associés à Schengen des franchissements illégaux des frontières et de la criminalité, Frontex est financée par le budget de l’UE ainsi que par des contributions financières des États associés à Schengen.
De nombreuses organisations non gouvernementales d’aide aux migrant-e-s reprochent cependant à Frontex d’enfreindre régulièrement le droit d’asile international. Pendant des années, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes a collaboré avec des milices libyennes afin d’arrêter de nombreux-ses réfugié-e-s sur le chemin de l’Europe et de les ramener en Libye. Or, l’article 33 de la Convention de Genève interdit, lorsqu’une menace grave pèse sur la vie des personnes, le rapatriement dans leur pays de départ.
Résultat : Frontex doit répondre de ses actes devant la Cour de justice des Communautés européennes. Il s’agit de deux Pushbacks, l’un concernant une femme du Burundi, l’autre concernant un jeune de 15 ans venant de la République démocratique du Congo. Tou-t-e-s les deux avaient cherché refuge sur l’île grecque de Lesbos l’année dernière. L’organisation de défense des droits de l’homme Front-Lex avait déposé plainte en mai dernier.
Les organisations de défense des droits de l’homme réclament un changement
La Cour européenne des Droits de l’Homme a incité la Pologne à calmer la situation à la frontière avec le Biélorussie. Elle a demandé plusieurs fois à ce que les réfugié-e-s dans la région reçoivent de la nourriture, des vêtements et la possibilité d’entrer en contact avec des avocats. Étant un membre de l’UE, la Pologne est obligée respecter le droit européen. La Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas encore informé les états membres si la Pologne avait mis en oeuvre ces mesures.
À la frontière, ce sont donc les organisations de défense des droits de l’homme et les bénévoles qui tentent d’aider les personnes en détresse. Soutenu-e-s par les organisations non gouvernementales telles que Pro Asyl ou Seebrücke qui s’engagent également pour les droits des réfugié-e-s, iels affrontent la résistance des autorités. Ensemble, iels réclament un changement d’attitude de la politique des frontières européennes. L’organisation de défense des droits de l’homme Pro Asyl aide les réfugié-e-s à déposer leurs demandes d’asile. C’est elle aussi qui documente les violations des droits humains aux frontières de l’Europe. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugié-e-s a également fait appel aux autres États membres de l’UE afin de montrer leur solidarité et de mieux soutenir les pays concernés.
Traduction Charlotte Müller
À propos de l’autrice

Katrin (elle préfère qu’on l’appelle Kaddy) a grandi près de Fribourg et a déménagé à Offenburg pour faire des études de com’ et de médias. Elle aime passer son temps libre à explorer la nature, où elle trouve aussi de l’inspiration pour écrire.